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Séminaire Usages et Valeurs du Noir Michel Mousseau

Séminaire Usages et valeurs du Noir
Michel Mousseau « La fabrique du Noir » 22/03/2022
en dialogue avec Céline Flécheux

CEEI-Thalim
organisé par Marie Laureillard, Isabelle Charrier, Hélène Campaignolle
INHA, 2 rue Vivienne 75002 Paris



Céline Flécheux
Michel Mousseau, vous vivez à Paris, vous avez une pratique du dessin, une pratique de la peinture, et du livre d’artiste. Vous avez présenté votre travail dans de nombreuses expositions personnelles ou collectives à Paris, mais également à Tokyo, à Londres, Genève, Tel-Aviv, Prague, aux États-Unis, à Pékin et plus récemment en Italie. Vous avez eu deux expositions importantes au Musée National des Beaux-Arts et à la Bibliothèque Nationale de La Havane à Cuba. En 2019, le domaine de Kerguéhennec dans le Morbihan a consacré une exposition à votre travail de dessin à la mine de plomb, intitulé 103 dessins Territoire des origines1, dont le catalogue circule dans la salle.
Ce qui est intéressant dans la pratique de Michel Mousseau, c’est de regarder comment, depuis un certain nombre d’années, de façon obstinée et avec beaucoup de modestie, Michel Mousseau parvient à structurer le travail de la toile. Je distinguerai deux pratiques, une pratique picturale qui est une recherche de la structure, et le Noir sert à son organisation, tandis que le dessin vise beaucoup plus le débordement par le Noir ou en tous les cas le débordement entre le Noir et la feuille de papier.
Tous les formats dans l’œuvre de Michel Mousseau sont explorés, petits et grands. Il y a aussi des allers retours très intéressants entre la pratique du dessin qui est fort singulière, la peinture, le livre d’artiste, un domaine qu’il pratique beaucoup et où se produisent un certain nombre d’échanges et de dialogues avec des auteurs et des poètes.
Michel Mousseau n’est pas un peintre de monochromes noirs. La question est réglée. Le Noir chez lui a une valeur multiple et il recouvre des usages différents. Pour commencer, on peut voir que dans certaines peintures, le Noir est présent avec d’autres couleurs, un statut sur lequel nous reviendrons. Dans d’autres peintures, le Noir se juxtapose au blanc, ou le Noir tient toute la place ou au contraire il joue avec la page. Dans des peintures que j’aime beaucoup, les Choses de la mer en 2019, là, le Noir sert à représenter le motif. Dans des expositions avec des formats beaucoup plus impressionnants, le Noir revient rythmer les murs. Il provoque l’équilibre entre le haut et le bas ou alors, dans cette grande structure de Grisy-les-Plâtres2, il est comme une espèce de clé, une clé musicale aux papiers découpés qui agence et rythme les autres couleurs.
D’où cette première question sur la fabrique du Noir, puisque c’est le titre que vous avez choisi. Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment le Noir intervient dans l’organisation de vos tableaux, une question pour lancer la discussion.

Michel Mousseau
J’ai toujours été sensible au Noir et j’estime que le Noir est une couleur parmi les autres mais qui a une spécificité très singulière, celle d’absorber la lumière. Un jaune par exemple est une couleur qui reflète la lumière mais le Noir est particulièrement affecté par cette faculté de recevoir et d'absorber la lumière. C’est récurrent. Au début de mon travail de peintre, j’e m'inspirais d'objets noirs disséminés parmi les autres de couleur ce qui, à un moment donné, m’a semblé chaotique. Je suis alors parti sur le Noir pour servir à structurer et pour aller vers la lutte de la forme et du fond. Le Noir a donc structuré la toile. En même temps,le Noir, je le voulais multiple. Je n’emploie pas de Noir du commerce j’entends. Le Noir je le fabrique. C’est-à-dire que, à partir de multiples couleurs, je mélange, je brasse et cela me donne ce que j’ai appelé des Noirs de couleur, rouges, bleus, jaunes mais qui sont très intenses. Là aussi dans cette recherche de structure centrale avec le Noir, je me suis aperçu que le Noir, paradoxalement, n’existe pas, parce qu’un Noir n’est jamais Noir qu’en proximité d’un autre qui l’est moins.

CF
Donc le Noir n’existe pas. C’est un Noir relationnel ce n’est pas un Noir absolu.

MM
Il est toujours relatif.

CF
Il se détermine par rapport aux autres couleurs dont il est proche.

MM
Oui exactement. J’ai d’abord travaillé beaucoup sur la couleur un peu dispersée. Le Noir m’a permis d’organiser les choses. Le Noir, en arrivant sur la partie centrale, développée en hélice, a repoussé les couleurs franches en marge, en bordure du cadre.

CF
Vous me disiez dans l’atelier que le Noir sert un peu de matrice à une spirale de couleurs qui sont repoussées sur les côtés du tableau.

MM
Le Noir gouverne en somme.

CF
Est-ce que pour vous le Noir serait à l’origine des couleurs ? Je sais que ce n’est pas la même chose de poser une question sur la spatialité de l’organisation de la toile et une question sur la couleur, Mais est-ce que, dans votre travail, les deux ne se rejoignent pas, en disposant et en choisissant la place du Noir au centre de l’organisation et en construisant les couleurs tout autour de ce centre de telle sorte que les couleurs se retrouvent vraiment comme dans un mouvement centripète autour du Noir.

MM
Je dirais pour simplifier qu’un rouge est toujours un rouge, plus ou moins dense. Mais un Noir peut devenir un bleu, un Noir peut devenir au fond toutes les autres couleurs. 

CF
Il devient la source - et non pas le réservoir - de toutes les couleurs, la possibilité quand il est étalé sur le tableau, de devenir autre chose que ce qu’il est.

MM
Je travaille à la lumière du jour. Chaque couleur n'est employée qu’une seule fois, le Noir par contre est multiple. Pour comprendre cette autre faculté particulière du Noir, je crois qu’on peut penser au camaïeu. Avec un camaïeu de Noir, vous pouvez imaginer des couleurs à l’intérieur. Dans une photographie noir et blanc par exemple, on peut imaginer la couleur d’une vitrine, la couleur de ceci, de cela. Mais un camaïeu qui est, disons sanguine, c’est-à-dire d’un certain rouge, ne vous renvoie pas à des couleurs.


CF
Vous dites, je n’utilise pas deux fois la même couleur sur le tableau, mais je peux utiliser plusieurs Noirs qui auront des couleurs différentes. Ce qui est important pour vous, c’est que l’orange, le rouge qui est au coin à droite n’est pas le même que celui qui est en haut à gauche.
Dans cette toile des années 70, on voit un travail de recherche spatiale, d’organisation des couleurs dans l'espace et d’organisation des couleurs sur la toile. Ici le Noir sert à composer, un peu comme dans une toile de Mondrian, l'espace de la toile. Trente ans ou quarante ans plus tard, le Noir a vraiment gagné en principe d’organisation interne et, pour employer deux termes qui vous sont chers, en densité et en essentiel. Pouvez-vous nous parler de ce travail très visible, qui passe d’une recherche de la structure spatiale dans des objets dispersés jusqu’à une forme de densité du Noir ? Densité qui possède en même temps une valeur de regroupement des couleurs autour du Noir et sert de principe d’organisation de telle sorte qu’il parvient a rythmer la toile. Le développement de votre travail donne vraiment à voir ce sens du Noir et le rôle organisateur que vous donnez au Noir.

MM
Le Noir a été récurrent depuis le début de mon travail de peintre, avec une évolution qu’on sent ici. En partant de quelque chose d’un peu éclaté, de dispersé, j’ai eu besoin de centrer les choses par le développement de ces Noirs. J’ai en même temps évacué, non pas ce qui m’entoure, mais le côté représentatif du monde qui m’entoure, pour aller vers quoi ? Je me suis aperçu que, en réalité, j’étais intéressé par ce que j’appelle la lumière du jour. Je travaille à la lumière du jour. J’ai évolué vers ce qui semble de l’abstraction, mais c’est en réalité très concret puisqu’il s’agit de la lumière du jour. Elle organise mon temps de travail, c’est en fonction de mon temps possible de travail que je peux prendre ou une grande toile ou une petite toile. Par ailleurs, grande ou petite, le problème est le même, c’est-à-dire que, de toute façon, au départ, quelle que soit la dimension, à partir du premier trait tracé sur une feuille blanche, on entre dans un rapport qui est le haut, le bas, la droite, la gauche, l’importance des éléments. On entre dans le domaine de la peinture non représentative des objets.

CF
Votre propos est très important pour essayer de comprendre votre travail sur les formats. On peut avoir une petite toile (ici posée dans l’atelier sur un chevalet), à comparer à ce très grand format, de 2 m x 2m. Quand on part d’un Noir sur un très petit format, il pourrait se passer autre chose quand on change d’échelle. Or vous nous dites que c’est une exploration bien sûr, mais que l’exploration ne change pas le contenu du Noir, la force constructive du Noir. Ce que vous travaillez, ce sont des rapports, peu importe l’échelle, petite ou grande. Finalement vous travaillez beaucoup plus sur la proportion de ces volumes colorés entre eux plutôt que sur l’exploration spatiale de la toile par la grille.

MM
Oui, l’organisation spatiale dépend en effet du temps que j'ai devant moi, parce que je travaille complètement en direct. Il n’y a pas d’ébauche que je devrais réaliser. Je travaille en direct et d’un seul jet. Je ne reprends pas le lendemain une toile. Si j’ai une journée de travail, je peux m’emparer d’une grande toile, si je n’ai que deux heures, je prends une plus petite. Tout dépend du temps dont je peux disposer pour le travail de peinture et aussi du temps qu’il fait.

CF
Ainsi dans cette peinture nommée La Butte du Chapeau rouge3, on peut voir le mouvement, le balancement, le déploiement de la couleur à partir du Noir et aussi le rapport de proportion et la manière dont le Noir cherche à pousser les couleurs à l’extérieur du tableau. On voit à quel point le Noir joue un rôle prépondérant de couleur par rapport aux autres. Alors que, dès qu’on passe à la pratique du Noir dans un livre comme Simples merveilles4 , au contraire, le Noir devient complètement autonome. On voit alors advenir le Noir dans son rapport à la feuille, le Noir comme une espèce d’objet déposé sur une feuille, de façon très différente de ce qui se passe dans la peinture.

MM
Dans cette toile de 3m x 2m, c’est vrai qu'il y a ce mouvement, quand même relativisé par rapport à ce petit angle jaune en bas à droite de la toile, qui arrête le mouvement. Le sujet, c’est la Butte du Chapeau rouge, le lieu du dernier discours de Jaurès. André Breton5 raconte dans un de ses ouvrages qu’il avait 17 ans, qu’il était allé au Pré-Saint-Gervais, qu'il y avait deux buttes en somme, l’une avec tous les drapeaux rouges, l’autre avec tous les drapeaux noirs. C’est ce qui m’a inspiré cette grande toile que j’aime bien. En général je ne suis jamais content de ce que je fais, mais avec le recul de quelques années, c’est comme si quelqu’un d’autre en était l'auteur.

CF
Finalement, vous dites aussi que ce chemin, cette recherche de structure dans la peinture vous a amené à penser ces deux mots qui sont importants pour vous, l’essentiel et l’intensité.

MM
Oui. L’intensité, C’est la raison pour laquelle, quand j’ai dit tout à l’heure que l’emploi d’une couleur n’était là qu’une fois, justement, si elle est bien à sa place, je ne pense pas à faire un petit rappel dans un coin ou un autre pour dire « vous avez bien vu la couleur». Elle doit s’exprimer pleinement à la surface qui lui est impartie.

CF
Ce n’est pas du tout décoratif. Quand vous remplissez la surface de la toile, vous ne cherchez pas le rappel des couleurs qui pourraient être agréables à l’œil. Au contraire, vous cherchez chaque couleur dans son intensité. Il y a deux mouvements à même la surface de la toile, la couleur dans son intensité, qui ne peut pas être produite à un autre endroit de la toile, mais il y a aussi l’essentiel, c’est-à-dire la manière dont vous avez trouvé votre chemin pour organiser ainsi les couleurs.

MM
Oui. Il y a aussi une autre notion que je développe dans le dessin et qui se retrouve dans la peinture, c’est ce que j’appelle la lisière, c’est-à-dire le bord entre une couleur et une autre. Dans cette même toile, il y a aussi le jeu de cette lisière qui, en général, n’est pas droite, mais chargée d’une certaine dynamique.

CF
L'autre pratique qui caractérise votre travail est celle des dessins, comme ceux réalisés pendant la résidence à Kerguéhennec de 2017, dont le catalogue a été édité en 2019. Lorsque vous êtes à l’atelier, vous peignez pendant la journée, donc le Noir chez vous n’a rien à voir avec la nuit.

MM
En effet, je dirais que le Noir est la couleur la plus lumineuse.
4
CF
Il est donc très frappant de voir que dans votre travail, les tableaux réalisés en atelier pendant la journée sont des explorations d’intensité de la couleur et de sa structuration spatiale sur la toile. Mais lorsque vous sortez, vous dessinez, et là, vous dessinez quoi? Des dessins noirs devant des grands paysages verts,…. Il y a une espèce d’inversion, comme une réponse à l’autre pratique. C’est quand même une grande surprise quand on voit l’ensemble de votre travail.
(cf dessins réalisés). Dans les dessins réalisés en extérieur à Kerguéhennec, vous marchez, vous vous asseyez, vous dessinez. Pouvez-vous nous parler de la manière dont vous avez travaillé à Kerguéhennec ? Comment cela se passe pour vous d’être invité par Olivier Delavallade, dans ce Centre d’art contemporain, combien de temps vous y restez, comment vous faites et comment se passe l’exposition des dessins ?


MM
Je suis très fier d’avoir travaillé dans ce lieu parce qu'il est tout à fait exceptionnel. Un peu isolé dans la nature du Morbihan, il est en même temps à l’intérieur de ce grand domaine qui a un certain prestige. Il y a aussi des champs, ce qui donne quelque chose à la Poussin, je pense aux Saisons de Poussin bien sûr, où il y a ce mélange de choses grandioses de la nature et en même temps le travail de l’humain dans les champs. Ce travail des dessins, pourquoi ? Ce sont des dessins qui font 1m sur 70 cm. Ces dessins de grande dimension sont la suite d'une longue pratique dans la campagne du Cotentin depuis les années 90. J'y ai travaillé dans un même lieu, devenu une espèce d’atelier dehors. Ce n’est pas le sujet qui a évolué mais le dessin jusqu’à devenir une feuille de papier avec Ça dessus. Pourquoi ? C’est toujours cette même recherche de sobriété, (d’essentiel), vous avez employé le mot. Juste un papier, juste un crayon mais en même temps il faut se balader, puisque je fais 9 km par jour par jour quand je travaille. Au début c’était un peu plus représentatif, direct et je m’en suis échappé pour arriver à la feuille de papier avec Ça dessus. Cette présence, j’espère qu’on sent quand même le côté organique de la matière.

CF
Je vous invite d’ailleurs à consulter le site de Michel Mousseau6 qui est bien fait, en particulier une petite vidéo où l’on voit l’artiste travailler en pleine nature avec une énergie absolument incroyable, qu’il déploie en crayonnant la feuille de papier. On voit là effectivement que l’usage du Noir est très différent de ce qui se passe en peinture. Il ne s’agit pas vraiment d’un travail sur le motif, mais également de l’occupation du Noir sur la feuille de dessin.

MM
Je dirais que cette marche, c’est aller vers la vision, pas au sens religieux, C’est le travail de l’œil et de la main, une captation.

CF
Votre résidence à Kerguéhennec a duré pendant deux mois en 2017. Vous avez réalisé 103 dessins en deux mois, une productivité absolument exceptionnelle, surtout que chacun des dessins est de grand format. Chacun est réalisé d’un coup, comme dans vos peintures. il n’y a pas de schéma préparatoire, pas de disposition des couleurs sur des croquis. La réalisation est spontanée, avec un travail de rigueur et une recherche de l’essentiel.

MM
Sur une image, on voit un seul trait, dynamique et tendu. Ces dessins, c’est un seul trait qui revient sur lui-même et qui donne ces noirs intenses, sans levée de la main.

CF
Le travail de l’intensité à l’œuvre. Dans l’édition de ces dessins, avec le grain du papier qui a été choisi, on retrouve bien l’intensité de la trace du crayon. 

MM
Une prestation tout à fait remarquable, que je dois à Olivier Delavallade, alors Directeur du centre d’art, et aussi au photographe Ilies Sarkantyu

CF
Pour terminer, nous allons parler des livres d’artiste, que vous réalisez avec des poètes, des romanciers, des écrivains. Je remarque que les dessins y sont extrêmement présents. Parmi plusieurs réalisations,
Répertoire des apparitions7: vous dites que vous avez commencé par donner les dessins à Zéno Bianu qui a ensuite écrit le texte. En revanche pour Jazz8, l’hommage à Matisse qui date de 2012, c’est différent ?

MM
Pour ces livres dits « d’artistes », qui rentrent  dans une catégorie un peu particulière, j’aime bien en général qu’il y ait un éditeur. Là en l’occurrence, c’est Virgile, galeriste Rue de l’université, avec qui je travaille, qui m’a demandé un jour, avec Zéno Bianu, de faire un livre qu'on appellerait Jazz. Évidemment, on commence par dire non, il y en a déjà un que tout le monde connaît, un chef-d’œuvre. Mais en réfléchissant je me suis dit qu’il fallait le faire, accepter l’enjeu, la difficulté, le plaisir. C’était un cadeau de Matisse –Je parle de la conception–. J'ai mis certaines conditions: à la dimension du Matisse, avec la pratique du papier gouaché découpé au ciseau et une large écriture de l’auteur sur les pages.
J’ai fait une trentaine de livres d’artistes. J’aime beaucoup partager de cette façon. Soit j’y intègre mon travail en cours dans la période, soit à l’inverse la proposition de l’écrit engendre chez moi un travail dans l’atelier. Pour Jazz, Il s’agit des papiers gouachés découpés au ciseau, devenus depuis 2012, l’objet d’un travail d’atelier, parfois même sur de grandes surfaces. 


CF
Est ce encore pour vous une autre exploration qu’entre le Noir et la feuille de papier, que les papiers découpés ou le rapport au livre d’artiste ?

MM
il s’agit de grands papiers que je gouache avant de les découper. Avec la gouache, je préfère employer la couleur pure, la marque Linel du commerce.

CF
Est-ce que pour vous, que ce soit Noir rouge vert ou jaune, le Noir n’a pas à ce moment-là la valeur de source qu’il avait dans vos tableaux ?

MM
Je ne fais pas de minimalisme, mais j’aime que les choses soient travaillées à l’extrême. Le contraire du minimalisme en somme. Le Noir entre dans ce jeu. Pour Jazz, il y a le Noir, il y a le jaune mais il y a aussi d’autres couleurs. Comme je le disais tout à l’heure, le Noir c’est un outil, c’est un outil particulier parmi les autres, mais très spécial. Quant à la gouache, la gouache noire directe ne joue pas ce rôle d’absorber le temps qui passe.
Si je reviens sur le trait, c’est ce même trait, qui conduit vers la vision : passer, repasser, recommencer avec acharnement. Au départ dans la vie, on s'amuse avec les couleurs, après il y a un moment où il faut de la rage.

CF
Dernier portrait de l'artiste rageur devant sa peinture...Michel Mousseau, merci.

MM
Rapidement, je voudrais revenir sur le thème de la lumière du jour. Je travaille à la lumière du jour au départ par goût, puis je me suis aperçu que ça devenait finalement dans l'atelier le sujet de mon travail. Pourquoi ? A cause de ce passage de la lumière dans la journée que j'aimerais capter, en raison justement du Noir qui lui-même capte la lumière, et je pense que la peinture a incarné la lumière et que cette incarnation de la lumière est non reproductible. La reproduction fixe l'image à un moment donné avec une lumière donnée. Ce qui est intéressant, c'est le passage, et mon désir, c'est que l'œil sur les grandes toiles passe d'un Noir à l'autre avec plaisir, et j'aimerais que mon travail reste un hommage à la lumière du jour.



QUESTIONS

Question
Une question concernant les dessins de Kerguéhennec.On devine parfois des formes en volume, presque des espaces en creux ou plein.

Michel Mousseau
Oui, la boule par exemple est pour moi une obsession, tandis que dans la peinture, c'est plutôt le jeu des aplats et non pas une profondeur, mais des plans qui viennent en avant ou qui s'éloignent, tout en restant cette feuille où il y a cela. Je ne suis pas dans l'illusion. La peinture pour moi est liée au passage du temps, plutôt qu'à la représentation. Un passage du temps qu'on ne peut pas reproduire.

Céline Flécheux
En effet, chaque tableau, chaque peinture, chaque dessin porte en lui-même le temps, non seulement le temps de sa réalisation, mais le temps qui l'a fait et le temps de le regarder.

Jean Lancri9
Tu as dit « le passage du temps et le temps qui passe », en chiasme. En utilisant le même balancement, il me semble que tu fais du dessin, tu fais de la peinture pour qu'il y ait une voie de passage, qui entraîne un passage de la voix. Une voix qui est celle de la peinture ou de la couleur, et qui serait exorbitée hors de son champ. Est ce que le terme exorbitation serait un mot-clé acceptable pour ta pratique ?

Michel Mousseau
Oui, tout à fait. En terme propre, je dirais que « ce n'est pas le peintre qui parle, c'est la peinture qui doit parler ».

Jean Lancri
De même on peut dire que la vocifération est un usage forcené, exorbitant et exorbité de la voix. On pourrait peut-être y greffer un autre mot, visufération, c'est-à dire un usage forcené, exorbitant et exorbité de la vision. J'ai été particulièrement touché par deux de tes expressions « travailler toujours dans le même lieu », et « à la lumière du jour », c'est à dire « avec », mais aussi « à » comme s'il s'agissait d'un datif. Autrefois, on disait à Rome « Do, ut des ». Je donne pour que tu donnes. Quand tu es dans la nature pour travailler, il y a quelque chose de l'ordre du don et du contre-don, pour donner à la lumière qu'elle vient aussi de te donner.

Michel Mousseau
Je m'accorde tout à fait à ce travail des mots. Cette incarnation de la lumière est quelque chose de mystérieux. Le mystère dans la peinture, ce n'est pas le peintre qui l'y met, il tient à la matière et à la couleur, deux éléments qu'il faut faire parler.

Marie Laureillard
Vous dites que vous peignez à la lumière du jour. Est ce que vous vous inspirez quand même des trous noirs, du ciel nocturne ou de la matière noire, est ce que cela joue un rôle dans votre imaginaire ?

Michel Mousseau
Je ne sais pas. Je pourrais peut-être répondre à cette question dans deux heures et voir s'il y a des liens. Une tentative de liaison (avec le second exposé)

Question
Ce serait une remarque, l'expression de mon appréciation plutôt qu'une question. Personnellement je préfère le dessin à la peinture, car il est difficile de voir vos peintures sous la vraie lumière du jour, l'émotion n'est pas aussi grande sur l'écran. Mais en voyant vos dessins, ils me paraissent multi-sensoriels, multi-modaux. Quand je vois vos dessins, j'entends le bruit du vent, j'entends le bruit des oiseaux, je vois que le vent passe, le mouvement des feuillages, cela me rappelle les paysages de Braque. Même s'il n'y a pas de titre, Quand on voit vos dessins au crayon noir, simplement noir, c'est tellement fort, comme si cela m'amenait dans les lieux où vous avez dessiné. Merci.

Michel Mousseau
Je suis tout à fait d'accord avec la fin de votre question, j'aimerais en effet que le travail du peintre renvoie au regard de tout un chacun sur le monde. Les dessins doivent ouvrir l'œeil de chacun, et même le mien, sur le monde.

Isabelle Charrier
Je voulais vous demander si vous connaissiez les travaux de Philippe Clerc, qui a joué un grand rôle au Ceei, dont les travaux sont très liés au Noir, et à la notion de l'empreinte. Est ce que, pour vous l'empreinte est un concept qui vous parle ? Philippe Clerc a créé des « Revues images », avec une exposition il y a trois ans. Il se sert en fait de l'électrographie pour ses créations. Anne Marie Christin, qui l'appréciait beaucoup, a beaucoup écrit sur son œuvre, en particulier un bel article qui s'appelle « Le silence du Noir ».

Michel Mousseau
Hélas non, je ne le connais pas, ou peut-être, sans faire de rapprochement direct avec son nom. mais je partage avec lui cette notion d'empreinte, qui a été le titre d'un certain nombre de mes toiles. Empreinte, oui, c'est ce que je cherche, dans cette marche et cette recherche (poursuite, quête) de la vision, c'est la recherche de l'empreinte.

MICHEL MOUSSEAU

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